Je la regarde sur ce vieux polaroïd, elle sourit, elle à 24 ans, et je vais naître bientôt, elle ne connaît pas encore la suite... elle sourit, je me demande aujourd'hui ce qu'elle me dirait de ces années qui ont passé...
Moi... je n'ai pas encore 40 ans, mais je sais déjà que je n'irai pas à Barcelone, que je ne gravirai pas le sommet d'une montagne, que je n'achèterai pas ce petit manoir abandonné au bord de la Loire sur cette si jolie route qui me menait chez mes grands-parents, dans cette famille que j'ai tant aimée et qui n'est plus. Je n'ai pas 40 ans et j'ai encore le temps, sûrement, mais je sais déjà que ce regard que je portais, petite, sur tant de choses, avec cet espoir incroyable qu'ont les enfants, n'existe plus, je ne changerai pas le monde, même si la colère s'empare de moi encore souvent. Moi, quand je claque la porte, rien ne change, personne ne tremble, ça fait juste beaucoup de bruit, c'est tout...
Je n'ai pas 40 ans et parfois je suis lasse de ce quotidien qui nous emprisonne en nous réconfortant, je me demande à quel moment, on fait ce choix de rentrer dans le rang, de se protéger derrière 4 murs, de se lever chaque matin beaucoup trop tôt, de faire les courses tel jour et un peu de sport à telle heure, de manger telle chose ou telle autre, de voter pour un bouffon plutôt que pour un autre parce qu'on se dit qu'on pense, qu'on réfléchit, que nous, on a des idées, un esprit critique, qu'on lit le journal, qu'on a des livres dans sa bibliothèque...
Je n'ai pas 40 ans et j'ai déjà aimé et perdu tant de gens, il paraît qu'on s'habitue à regarder la vie s'en aller, certains vont à l'église, d'autres méditent, moi, j'aimerais bien croire à tout ça, ce serait plus facile de raconter à mes enfants que Sidney est au paradis des chats et que ma maman lui rend visite de temps en temps, sauf que voilà, mon cerveau ne peut pas, tout mon être s'y refuse...
Je n'ai pas 40 ans, je n'irai pas à Barcelone, je n'aurai plus d'enfant, je ne deviendrai pas un grand reporter, ni chef d'un projet humanitaire, je n'habiterai jamais dans ce petit manoir sur le bord de la Loire, je ne reverrai jamais ces gens que j'ai tant aimés... je ne sais pas trop à quel moment j'ai choisi ces 4 murs, je fais le même métier que celle qui m'a élevée un peu pour elle, sans doute, j'ai deux enfants qui me rappellent combien la vie est miraculeuse, combien j'ai de la chance et pourtant... Je n'ai pas 40 ans, j'ai encore du temps, sûrement, mais je sais déjà que grandir c'est finalement parfois apprendre à renoncer...